« Bon, pour que ça soit poétique, y’a pas à tortiller. Le mieux, c’est les oiseaux. Tu vois ce que c’est un oiseau ? Tu le fais s’envoler et ça y est, c’est de la poésie. » disait Louis-Émile de Réac lors de son passage dans le 3615 Usul. Depuis, cette question me taraude : puis-je réellement résumer cette forme d’expression à deux pigeons qui s’envolent de l’esplanade du Sacré-Cœur pour mieux me chier sur la gueule ?
Le beau de l’air
J’ai toujours eu du mal avec la poésie. Enfin, pas avec toute la poésie. Baudelaire et ses Fleurs du mal, If de Kipling, le bateau ivre de Rimbaud (mettre les liens), … Ces œuvres sont belles, touchantes et font transparaitre un malaise, la souffrance de la vie ou la tragédie humaine. Et puis, il y a cette poésie « fleur bleue », qui, elle, transpire la naïveté, parle des beaux sentiments et exalte la beauté du monde.
C’est de cette dernière que j’ai été témoin lors de mon aventure dans Season : a letter to the futur.
Des oiseaux, il y en a dans Season, et oui, ils s’envolent alors que derrière se dessinent les falaises baignantes dans la chaleur d’un coucher de soleil rougeoyant. Lorsque l’un ou l’autre personnage parle, il y a des comparaisons lancées de la même manière que je lancerais un galet pour faire des ricochets : avec lourdeur et maladresse. Ça finit directement par un gros plouf et la pierre rejoint ses copines au fond de la rivière.
C’est dérangeant et vous avez l’impression que le jeu vous force à vous faire trouver son univers beau, charmant … poétique. Comme si cela était indispensable pour faire vibrer une corde sensible chez le joueur, l’émouvoir, voire le faire pleurer.
Étienne de la Poésie
Mais qu’est-ce que la poésie ? Ce mot est devenu un passe-partout qui, à force, ne sert qu’à remplir les bouches de ceux qui n’ont rien à dire et ne savent plus de quoi il parle. Devant un spectacle d’une certaine beauté, les mots leur manquent et la confusion ne tarde pas : si ce que je regarde me laisse sans voix, c’est donc de la poésie mon bon ami.
Je ne tenterais pas de la définir ici. Je n’ai pas envie de m’attirer les foudres de l’Académie française, qui, j’en suis sûre, passe mes articles au crible. Ce qui est certain, c’est qu’elle véhicule des émotions, des sensations, bref, elle fait vibrer. C’est triste à dire, mais malgré tous ses efforts Season n’y est que difficilement parvenu et certainement pas à travers ses excès de beaux mots et d’oiseaux qui volent.
En fait, en y jouant, je me suis rendu compte que de la poésie dans les jeux vidéo, j’en avais déjà croisé, mais pas là où vous pourriez l’attendre. En parcourant Season, j’ai repensé à Diablo et je me suis dit que la poésie, elle était là, dans le village condamné de Tristram, dont le temps est suspendu entre le jour rassurant et la nuit servant de couverture aux démons rôdant dans les cryptes de la cathédrale pervertie. Dans ce crépuscule, la tension est palpable. C’est un moment de bascule entre la sérénité et l’horreur accompagné par cette guitare qui traduit la lassitude et la mélancolie…
La poésie, je l’ai également trouvée dans Morrowind et les courbes des arbres et falaises qui se dessinaient devant moi. Je l’ai vécue, sous un ciel déprimant et une pluie battante, en revenant à Balmora après un long périple. La ville se présente au loin, rassurante et promettant un repos bien mérité.
Et si cela ne vous évoque rien, vous l’avez peut-être croisée autre part, dans les gerbes de sang d’un DOOM ou les terres irradiées de Fallout, dans la cité de Rapture ou les plaines d’Hyrule, dans les tréfonds d’un Subnautica ou dans les États-Unis en ruines grouillant de cordyceps.
Le point commun entre toutes ces œuvres pour lesquelles vous y trouvez des moments « poétiques », c’est qu’elles ont su vous impliquer dans leur univers à travers l’impact que vous avez sur ce monde en tant que joueur, ainsi que sur la vie de ses habitants, aussi virtuels soient-ils. Les actions que vous faites ont un effet, petit ou grand, sur les choses autour de vous. À partir de là, vous vous sentez investis dans le monde dans lequel vous progressez et il devient plus palpable, plus réel. Cette connexion entre vous et l’univers du jeu vous permet de vous impliquer émotionnellement et seulement à ce moment-là, éventuellement, d’y voir naitre la « poésie ».
T’es mignon, mais t’es André Breton
De par sa vocation à faire émerger des émotions, la poésie est hautement subjective. Chacun la verra là où il veut. Et peut-être même, pour ceux qui y sont sensibles, dans les mièvreries de Season (qui reste malgré tout un bon jeu). Toujours est-il que la plus belle des poésies, celle qui vous touche directement au cœur, au plus profond de votre âme si je veux utiliser à mon tour une figure poétique, n’est pas celle qui se force à travers des vers alambiqués et des comparaisons douteuses, ni même à travers des couchers de soleil ou des oiseaux qui s’envolent. Elle est là où vous ne l’attendez pas. Elle surgit d’elle-même, inattendue, dans l’esprit de celui qui est prêt à l’accueillir, sous la pluie déprimante de Morrowind ou dans les notes de guitare qui résonnent mélancoliquement dans le village de Tristram.
Pour aller plus loin, il y a l’article sur l’immersion dans les jeux vidéo qui approfondit l’avant-dernier paragraphe.
Il y a aussi la vidéo sur Season pour un avis plus complet sur le jeu.
N’hésitez pas non plus à partager, ça ne coute rien, c’est moi qui offre. 😉
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