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Avec le temps, le manoir Spencer de Resident Evil a laissé son empreinte dans le jeu vidéo. Lieu culte des évènements du premier titre d’une licence devenue iconique et qui posera des bases du Survival Horror, les couloirs de ce manoir renferment un terrible secret de level design qui rend le jeu toujours agréable à parcourir aujourd’hui. Faites attention au spoil et suivez-moi, je vais décortiquer ça avec vous.
Exploration
Cet environnement, repris tout droit du RPG horrifique Sweet Home de 1989 de Capcom est un décor culte du cinéma d’horreur. D’une part, l’immensité de la demeure isole encore plus des personnages vulnérables, mais les nombreuses portes peuvent cacher de nombreux dangers. Malgré tout, vous êtes amené à faire de longs allers-retours dans cette maison hantée. Je vous propose d’en faire un de plus en ma compagnie afin d’identifier comment le jeu crée un rythme et brise la monotonie à travers son level design.
À peine débarquées dans les environs de Raccoon City, Jill Valentine, votre personnage, et les membres de l’équipe alpha des STARS sont prises en charge par des chiens sortis des enfers. Vous vous empressez de rejoindre le seul refuge possible dans les environs en la présence de ce lugubre manoir isolé. Les portes se ferment sans vous laisser l’opportunité de retourner sur vos pas et vous commencez à fouiller cette demeure à la recherche de vos coéquipiers et d’une sortie de secours.
Un coup de feu se fait entendre et vous décidez d’aller vérifier ce qu’il s’y trame. Dans la salle à manger que vous découvrez, des traces de sang luisent sur le sol, et au détour du couloir suivant, vous tombez nez à nez avec un zombie dégustant ce qu’il reste d’un membre de l’équipe bravo, précédemment envoyée sur les lieux. Revenu dans le hall, c’est Wesker et Chris, tous deux de votre propre équipe, qui sont portés disparus. Il ne vous reste plus qu’à explorer les environs pour comprendre ce qu’il se passe ici.
Vous concentrez vos recherches sur le rez-de-chaussée en explorant l’aile est dans laquelle vous êtes attaqué par des chiens surgissant des fenêtres et êtes à deux doigts de vous transformer en sandwich par une pièce piégée. Vous découvrez également la première safe room où vous pouvez sauvegarder et alléger votre inventaire. Vous entamez alors l’exploration du premier étage pour ensuite poursuivre vers l’aile ouest qui vous donne, après la résolution d’une petite énigme, une clé déverrouillant des portes jusque là bloquées. Vous attaquez la deuxième phase d’exploration du manoir en déverrouillant la plupart des portes restantes et récoltez des médaillons servant à ouvrir le passage vers le jardin et le poste de garde.
Pour la première fois depuis plus de deux heures, vous changez de décor, et les couloirs maintenant bien connus du bâtiment principal laissent place à une cour infestée de chiens zombies. Assez vite traversée, vous vous retrouvez au poste de garde. L’environnement est plus petit et il y a moins de salles à découvrir, mais la menace change. Vous rencontrez araignées géantes et insectes mutants, ainsi qu’un requin ou une plante aux proportions gigantesques. Une fois cette plante éliminée, vous récupérez la clé casque qui vous donne accès aux dernières pièces du manoir.
Vous y retournez et faites, au minimum, votre troisième aller-retour. La différence, c’est que la menace a changé et le hunter fait son entrée. Vous connaissiez la plupart des « résidents » de cette maison et les couloirs vous sont familiers, mais la donne change avec de nouveaux ennemis aux aptitudes différentes, seules les pièces non explorées contiennent ces bons vieux zombies. C’est d’ailleurs dans une de ces pièces que vous trouvez une batterie électrique, indispensable pour débloquer l’accès à la mine depuis le jardin.
Vous voilà maintenant dans la dernière ligne droite du jeu et vous faites face à une nouvelle configuration de salles intégrant les hunters tout fraichement introduits. Cette zone est néanmoins vite traversée et laisse place au laboratoire où les dernières énigmes et révélations du jeu sont faites, ainsi qu’un dernier type de mutants révélé, tantôt courant au sol, tantôt s’accrochant au plafond, ainsi que le Tyrant constituant le boss final de Resident Evil.
Resident Evil : histoire d’un aller…
Comme vous le constatez, vos premiers pas dans le jeu sont dirigistes. Le jeu vous oblige à directement rentrer dans la salle à manger et attire votre attention sur le sang au bout de la salle. Juste à côté de ce sang se situe une porte que vous franchissez rapidement. Dans ce couloir, vous rencontrez la nature de la menace qui pèse sur vous : des zombies. Cette partie ouest du manoir est vite explorée et naturellement, vous revenez dans le hall. La seule porte qui y est déverrouillée est celle menant au couloir de l’aile est. Il n’y a qu’à la parcourir et explorer les pièces ouvertes d’un côté ou de l’autre. L’immensité du manoir vous laisse croire que vous êtes dans un environnement libre, mais finalement, ce n’est qu’une illusion. Habilement, le jeu vous prend par la main pour, dans cette première phase, vous laisser le temps de maitriser le gameplay particulier du jeu.
Il faut d’ailleurs un peu de temps avant de rencontrer votre deuxième zombie, mais une fois que c’est le cas et que vous êtes au premier étage, le jeu dévoile des situations tendues avec plusieurs zombies dans un même couloir parfois très étroit. Ces couloirs, créant des situations particulièrement difficiles, sont cependant entourés de zones plus sécurisées avec plus d’espace et moins de zombies (voir même aucun). Ce n’est qu’au bout de cette aile ouest, au rez-de-chaussée que le jeu vous donne une clé vous incitant à revenir en arrière pour découvrir ce qu’il se cache derrière les portes verrouillées.
Finalement, dans ce manoir, vous allez déjà passer une bonne partie du temps, faisant au minimum deux allers-retours (et certainement beaucoup plus si c’est votre première fois sur Resident Evil), apprenant à le connaitre, ainsi que ses dangers. Une certaine monotonie s’installe : ce qui vous faisait peur au début ne fait plus d’effet. Vous commencez à maitriser votre environnement qui ne vous semble plus si mystérieux et les zombies, après vous être fait mâchouiller quelquefois, laissent transparaitre leurs points faibles. Pour peu qu’il y ait de l’espace, vous pouvez les contourner facilement, d’autant plus qu’ils apparaissent toujours aux mêmes endroits.
Heureusement, le jeu casse immédiatement l’environnement devenu familier pour changer de décors et vous mener au poste de garde par le jardin. Le sentiment du début de jeu revient. Vous vous sentez perdu, vous ne savez pas trop par où aller. Il faut découvrir l’environnement tout en évitant certaines menaces. Celles-ci commencent à varier, mais restent abordables (la plante 42, le requin, des araignées, tout un bestiaire finalement assez lent). Après une heure à crapahuter dans ces lieux, le jeu vous renvoie dans le manoir. Vous êtes soulagé de retourner dans un endroit connu où vous avez développé vos habitudes dans la manière de progresser (habitudes qui vous rassurent), mais le jeu s’appuie sur ce lieu bien ancré dans votre mémoire pour introduire un nouvel ennemi, le hunter, aux déplacements plus agiles et moins prévisibles, donc plus dangereux.
Vous remarquez que ces hunters prennent finalement les exacts mêmes emplacements que les précédents morts-vivants, ce qui vous permet de vous appuyer sur votre connaissance des lieux pour vous focaliser uniquement sur ces monstres redoutables. D’ailleurs, les dernières zones du manoir que vous découvrez à ce moment ne contiennent que des zombies, de quoi rester concentrer sur l’exploration. Vous avez toute l’attention nécessaire pour aborder ces nouvelles pièces.
La mine reprend le même principe, mais à l’inverse. Le jeu propose un nouvel environnement, tout en considérant que vous avez eu le temps de connaitre le nouvel ennemi du jeu. La menace est connue, mais pas l’agencement des lieux. Finalement, le laboratoire semble faire une synthèse du jeu. Vous ne rencontrez que des zombies ou ce qui y ressemble dans un endroit nouveau. Ceux-ci finissent, par endroit, par laisser leur place à des hunters. Une partie du labo intègre même une nouvelle menace avec ces mutants courant au sol comme au plafond selon leur envie. Vous devez à la fois aborder ces nouveaux couloirs labyrinthiques et le danger créer par ces monstres.
… et retour
Cette manière d’organiser le level design permet au jeu de prendre le temps de vous introduire son gameplay en vous prenant par la main, en limitant votre exploration pour vous guider dans un environnement qui parait au premier abord gigantesque, mais qui est finalement maitrisé de façon à ce que le jeu puisse décider quand accentuer la tension et quand vous laisser vous relâcher. Les situations où dans un même couloir vous affrontez trois zombies ou plus sont finalement rares et entourées de salles où la menace est nulle ou presque. Cette alternance crée déjà un rythme dans l’exploration.
Au-delà de ça, c’est le level design en spiral basé sur les allers-retours dans les environnements qui vont, dans un premier temps, vous permettre de mémoriser les lieux, de connaitre la menace et de pouvoir l’appréhender facilement. Ce qui vous faisait peur au début de l’aventure était de ne pas savoir si vous allez vous en sortir vivant jusqu’à la prochaine safe room. Maintenant que vous slalomez entre les zombies, la question ne se pose quasiment plus. De la même manière, l’endroit semblait difficilement abordable de par sa taille. L’obligation de voyager à maintes reprises vous permet de mieux vous y repérer après un temps et d’avoir l’architecture en tête.
Cette mémorisation naturelle installe une certaine monotonie que le jeu casse par un nouvel environnement. De cette façon, vos habitudes développées jusqu’alors sont perturbées et la question de la survie se pose à nouveau. C’est d’ailleurs avec soulagement que vous revenez dans le manoir après avoir été au poste de garde. Sur le trajet de retour vous pouvez ressentir un certain apaisement dans la perspective de retrouver un lieu connu, sauf que…
Sauf que de nouveau, pour relever à nouveau la tension, le jeu joue avec votre connaissance de lui-même pour mieux vous surprendre et profite de vous faire réintégrer un endroit connu pour introduire un nouvel ennemi plus dangereux de ce que vous avez pu voir jusque là. Le level design en spirale, en plus d’exercer subtilement votre mémoire pour vous surprendre par après, permet également de s’appuyer sur ce que vous connaissez déjà pour faire évoluer son gameplay ou son bestiaire. Votre esprit est libre de se concentrer sur la nouveauté quand le reste de ce qui l’entoure est connu. Le jeu l’a bien compris et s’appuie soit sur l’environnement pour présenter un nouveau monstre, soit sur son bestiaire pour présenter un nouvel environnement. Quand le jeu se permet d’introduire une zone inconnue avec des ennemis inconnus, c’est dans un espace finalement réduit à la fin du jeu pour justement surprendre et encore une fois casser vos schémas mentaux.
Dernière volonté
D’une part, Resident Evil arrive à introduire son univers et son environnement de façon subtile sans se montrer trop linéaire et d’autre part, il arrive à garder cette subtilité pour ne jamais vous noyer sous un flot trop important d’informations et de questions. Ce rythme permet d’alterner tension et relâchement pour ne pas vous épuiser, ce qui est rendu possible grâce à cette spirale d’allers-retours entre le connu et l’inconnu. Une spirale qui aura fini par faire rentrer le manoir Spencer dans toutes les mémoires.
Special Thanks : au blog Chris’s Survival Horror Quest et cet article dans lequel a été analysé de façon consciencieuse l’architecture de Resident Evil et à qui je dois ce terme de level design en spiral (article en anglais).
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