Le vendredi soir était là, enfin ! Toute la semaine, je n’avais eu que mes jeux NES pour satisfaire mes désirs vidéoludiques. Les veilles de week-end cependant, c’était différent. J’allais chez mon père et là, j’avais accès à un tout autre monde, celui du PC avec ses mudokons, ses Talans à sauver et ses mondes en 3D dans lesquels je me perdais pendant les 2 jours que durait mon séjour.
Parfois, malheureusement, il me fallait attendre le samedi pour pouvoir toucher à cette machine extraordinaire. Mon père avait découvert un nouveau jeu et il était pris dedans. Il ne me restait plus qu’à m’assoir à côté de lui et à le regarder jouer. C’est lors d’un de ces vendredis soir que je découvris Myst. Dès les premiers instants, par son univers, le jeu m’avait conquis autant que la mélancolie de son île m’avait mis mal à l’aise.
Le vrai coup de foudre avec la série est venu après, avec sa suite Riven. Je regardais ce qu’il se passait à l’écran avec les yeux et les oreilles grands ouverts, fasciné par les sons et les couleurs qui composaient le monde présent devant moi.
Riven était fait de plages de sable fin, de grottes ouvertes laissant admirer un ciel bleu apaisant, d’eau transparente clapotant sur les parois rocheuses, de mécanismes s’activant dans un grincement de bois et de chocs métalliques avant de relâcher la tension dans un souffle de vapeur. Ces éléments constituaient des scènes uniques et enchanteresses qui, lorsque vous y mettiez les pieds pour la première fois, vous arrêtaient le temps d’admirer le paysage et d’écouter les oiseaux chanter. Vous savouriez le moment que vous étiez en train de vivre, car jamais auparavant vous n’aviez rencontré de vision si belle et si parfaite.
Vous vous perdiez dans ce monde avec cette envie perpétuelle de découvrir ce que Riven avait encore à vous offrir. À force de la parcourir, sans même vous en rendre compte, les lieux devenaient familiers. Là, il y avait le village avec son école et sa prison, puis sur cette autre île, c’est la scierie surplombée par le bureau de Ghen. Et puis, il y avait ces passages bloqués dont vous vous demandiez quelles merveilles ils pouvaient bien cacher pour être si bien verrouillés.
Pour y accéder, il fallait comprendre les mécanismes qui obstruaient leur accès. Tous avaient une utilité concrète dans l’univers du jeu et donc un fonctionnement logique qui s’offrait à vous grâce à votre sens de l’observation et votre écoute attentive. Un ou plusieurs détails sonores ou visuels vous guidaient dans votre déduction et une fois que vous en aviez percé le fonctionnement, il y avait ce moment où les choses devenaient limpides. Plusieurs éléments vus ici et là faisaient alors sens et les choses prenaient une cohérence dont elles étaient précédemment dénuées. Comprendre ce qui bloquait votre chemin, c’était comprendre une partie du monde qui vous entourait.
Derrière les apparences
Par la suite, en m’intéressant un peu plus à la série, je découvris le premier livre Myst qui abordait l’histoire précédant les évènements de Riven. À travers ce bouquin, j’apprenais plus sur le background du jeu, sur ces livres (appelés Âge) qui renfermaient des mondes que j’explorais en posant ma main sur la fenêtre présente sur leur première page. J’apprenais par quelle magie ils étaient construits, et le soin qu’ils nécessitaient.
Outre le fait d’avoir besoin d’un papier et d’une encre spécifique pour que l’Art de l’Écriture puisse opérer, la construction d’un monde demandait des règles harmonieuses. Si celles-ci se contredisaient, le monde décrit n’était que chaos. De la même manière, apporter des modifications à ces Âges en contredisant celles établies créaient des instabilités, voire conduisait le monde vers son effondrement. C’est le cas de Riven, dont les fissures y sont visibles en plusieurs endroits.
Ce détail de l’univers de Myst n’est pas anodin et reflète la philosophie de conception des frères Miller. Avant d’y greffer l’histoire et le jeu, ils ont créé l’univers à explorer. Une fois cet univers, ce système établit avec les règles qui le soutiennent, le reste y est inséré naturellement pour donner une cohérence que je n’ai que rarement retrouvée dans un autre monde virtuel.
Le projet
C’est pour comprendre cette philosophie de conception et les processus créatifs qui amènent à un univers si crédible que j’ai démarré ce projet. L’idée est d’explorer la saga, son lore, son histoire, ce qui la rend unique et magique et d’en aborder sa création pour comprendre comment les intentions à l’origine du projet et la philosophie de création ont influencé le résultat final et lui ont donné forme.
À terme, l’objectif est de proposer le livre-référence, non seulement sur Myst, mais également sur la création d’un univers, qu’il soit ludique ou non, et de la philosophie de conception qui le forme. L’idée, en écrivant ce livre, est de dégager des outils et des façons d’aborder l’acte de création pour alimenter le processus créatif de ceux qui, comme moi, ont cette envie de créer à leur tour.
Enfin, afin d’être totalement transparent dans ma démarche, je dois vous avouer qu’il y a également d’autres raisons plus personnelles à la volonté de voir naitre ce livre. Petit, l’univers de Myst et Riven m’avait tellement marqué que je rêvais de trouver un livre, une encyclopédie qui puisse m’accompagner dans ce monde mystérieux et regrouper toutes les merveilles qu’on pouvait y trouver.
Ce livre, je ne l’ai heureusement jamais trouvé. Au fond ce que je voulais, ce n’était pas un livre sur ces mondes, mais mon livre, celui que j’aurais écrit ! Par ce projet, je veux rendre hommage à cet univers qui a contribué à créer un lien entre moi et mon père à travers ces vendredis soirs qui, furent-ils anodins sur le moment, n’en ont pas moins guidé mes pas vers ce que je désire faire de ma vie.
Vers les archives (articles sur Myst et Riven avant d’avoir définis le projet)