Il y a des jeux qui m’ont captivé. Des jeux dans lesquels je pourrais y passer des semaines tout en en apprenant toujours plus sur son univers, son Histoire, ses héros, ses gens de tous les jours. Des jeux dont je me souviendrais toute ma vie avec nostalgie. Puis, il y a les autres, ceux qui repartent poliment par la porte arrière de ma mémoire une fois leur aventure finie. Cette différence se marque par un point en particulier : l’immersion. Mais comment réussissent-ils m’immerger au point de me faire oublier qu’ils n’étaient qu’une illusion, là où les autres peinent à convaincre ?
Walk on the Wild Side
Season : a letter to the futur vous mets dans la peau d’une jeune femme qui part à la découverte d’un monde qui s’apprête à subir un énorme cataclysme. Avant que les choses ne changent drastiquement, elle veut en capter la beauté à travers son appareil photo et son magnétophone, ainsi qu’en notant ses impressions et pensées dans son carnet qu’elle compte remettre au musée de la mémoire. Un lieu à l’abri où pourra être répertorié son précieux carnet.
Le jeu vous met aux commandes de cette jeune femme et vous parcourez son monde en bicyclette, photographiant ce qui vous attire et enregistrant les sons qui vous plaisent. Tout du long, l’histoire se développe à travers les impressions que la jeune femme donne et les quelques rencontres qu’elle fait.
L’histoire se prête parfaitement à un walking simulator, mais est plus ouverte. L’intérêt est avant tout de découvrir par vous-même la zone de jeu et de prendre les photos et les sons qui vous semblent dignes d’intérêt. C’est là qu’il y a un souci. Même si le jeu est agréable à parcourir et que la sauce prend un minimum grâce à sa direction artistique, il y a une dissonance entre ce qu’il me demandait de faire et mon envie sincère de m’y plonger. Tout du long, je n’ai pas su m’arrêter de me demander ce que je faisais là, à essayer de capturer la beauté d’un monde qui n’est que virtuel, factice.
Au final, j’avais l’impression de me forcer à porter un intérêt pour ces lieux et ces gens qui n’existaient pas. Au contraire, dans Gone Home, ma curiosité est directement attisée. Dans Diablo, j’ai naturellement un fort désir de connaitre les histoires des habitants de Tristram. Et dans Ocarina of Time, le destin des personnages et d’Hyrule m’affectent personnellement.
Tout le long de Season, je pensais à ces aventures ludiques passées en me demandant comment elles avaient réussi à m’immerger en elles et à éveiller un désir sincère de connaitre leur univers en profondeur, là où le jeu de Scavengers Studio, alors que c’est le cœur de son gameplay, échouait.
Partir un jour
Cité plus haut, Gone Home ressemble à la proposition de Season en misant sur l’histoire qu’il a à raconter. À l’opposé de Season, le jeu de The Fullbright Company a su m’embarquer directement dans sa proposition malgré son côté très épuré.
Un soir de 1995, après un an à l’étranger, vous rentrez chez vous en vous attendant à revoir votre famille. Contrairement à vos attentes, la maison est vide et il y a quelque chose qui semble bizarre. Vous fouillez alors les lieux et essayez de comprendre ce qu’il s’est passé.
Le jeu n’offre pas plus d’interaction que Season. Vous pouvez tout au plus observer des objets. Pourtant, vous sentez une tension qui se fait plus forte tout au long du jeu. À travers différentes lettres que vous retrouvez, vous apprenez à connaitre Sam, votre sœur, et ce qu’elle a vécu ces dernières années. Vous en venez à appréhender le pire pour elle jusqu’au dénouement final.
Même si Gone Home ne vous demande rien d’autre que d’explorer la maison et d’interagir avec certains objets, vous en venez rapidement à oublier que vous êtes dans un jeu. Vous êtes directement pris par cette tension et, puis, surtout, par le destin obscur de votre sœur qui vous motive à aller au bout de l’aventure pour savoir si elle va bien. Le jeu réussit à créer un lien émotionnel entre vous et Sam et c’est grâce à cette connexion que l’immersion émerge.
Immersion en enfer
Diablo, qui est moins narratif, voire plus « classique », arrive également à construire ce lien avec ses personnages, mais d’une autre manière. Il y a un côté plus fonctionnel avec les habitants de Tristram. Deckard Cain sert de guide et de sage. Le prêtre vous vend des potions. Griswold, le forgeron, s’occupe d’acheter ou vendre des armes, ainsi qu’à les réparer. C’est un premier lien qui se crée avec eux.
Mais cela va plus loin. Dans Diablo, vous participez entièrement à l’action en nettoyant les souterrains lugubres de la cathédrale de Tristram. Les aller-retour avec le village permettent de constater les niveaux vidés de tous démons et si vous descendez assez bas, des raccourcis s’ouvrent aux alentours du village.
Par vos efforts, le monde autour de vous bouge, se transforme et vos actions se répercutent sur l’extérieur. Il y a une incidence directe et palpable qui vous immerge plus encore dans ce monde. De là nait un intérêt pour cet univers et les villageois sont là, prêts à raconter leurs histoires, à en révéler plus sur eux ou sur leur village et les horreurs vécues pour satisfaire votre curiosité.
Ici, en plus du lien que vous tissez avec les habitants, l’impact de vos actions sur le monde accentue l’immersion. Vous vous sentez alors concerner par cet univers, ces êtres virtuels et vous oubliez d’autant plus qu’ils n’existent pas vraiment. In fine, vous sauvez le monde et ses habitants du sort terrible qui les attendait.
Avec cette immersion vient également un lien émotionnel, un attachement à ces lieux. Diablo II vous permet d’ailleurs de vous y confronter en vous envoyant sauver Deckard Cain dans une Tristram à feu et à sang. Vous y croisez Griswold transformé en démon que vous devez alors abattre. Retrouver Deckard Cain a un côté rassurant, mais pour le reste, vous éprouvez un mélange d’horreur et de désespoir. Au vu des décombres encore brûlants, vos efforts n’ont finalement servi à rien et les gens que vous y avez connus sont tous morts, probablement dans d’atroces souffrances.
La liberté d’un monde ouvert
Dans Ocarina of time, vous retrouvez cette dimension d’interaction avec le monde et ses habitants pour atteindre une forme d’immersion, mais cela se présente d’une autre façon. Ici, vous aidez les habitants autant qu’ils vous aident. Vous les aidez à résoudre leur problème et ils vous récompensent en vous donnant un quart de cœur, une fiole, un nouvel objet, etc. C’est une véritable symbiose qui se crée.
Vous impactez également le monde et ses habitants à travers vos actions. À travers votre progression chez les gorons, vous mettez fin à une famine en débloquant la grotte Dodongo, source de délicieuses pierres dont ils raffolent. Ceux-ci vous voient alors différemment.
Et à l’image de Diablo avec Tristram, vous subissez le même impact émotionnel en voyageant dans le temps et en constatant à quel point certains lieux ont changé, souffrant même de la disparition de certains personnages. Dans le village Cocorico par exemple, lorsque vous êtes enfant, vous rencontrez le fossoyeur du cimetière. En y revenant adulte, il a disparu. C’est en fouillant un peu que vous lisez son nom sur une tombe. Un petit choc.
Enfant, vous constatez également la joie et la paix qui règnent sur la place près du château d’Hyrule, contrasté, quelques années plus tard à la désolation qui s’y est installée. Les habitants sont devenus de tristes zombies et le tout est maintenant recouvert d’un voile de poussières brunâtres. Maisons et échoppes ont depuis longtemps été abandonnées et l’ambiance de petite fête foraine s’est transformée en crépuscule lugubre.
En plus de ces deux points, il y a une chose qu’Ocarina of Time fait en plus qu’un Diablo ou qu’un Gone Home : c’est la liberté qu’il vous laisse. Il y a évidemment la quête principale que vous pouvez suivre directement, mais aussi toutes les quêtes secondaires. Vous pouvez choisir à tout moment de dévier du scénario principal pour aller flâner à droite à gauche, aider à rattraper des poules, faire la course avec le dresseur de cheval, etc.
Vous n’êtes pas poussé à continuer sur une voie précise, mais vous êtes libre de choisir ce que vous voulez faire. Cela change beaucoup, car les choses viennent de vous. Le jeu respecte votre désir de marquer une pause dans l’aventure et de flâner, ou au contraire d’enfin affronter ce donjon que vous redoutez. Vous vous exprimez librement et allez vers ce qui vous attire à tout moment.*
Cette liberté d’action vient compléter les deux points soulevés plus tôt et renforce l’immersion. L’univers du jeu et l’aventure proposée deviennent vôtres. Difficile dans ce cas de ne pas verser une larme lorsqu’apparait le générique de fin et que vous voyez apparaitre les personnages que vous avez rencontrés, sauvé et dont vous avez impacté les vies comme ils ont eu un impact sur la vôtre. Vous avez l’impression de dire au revoir à des amis et une fois que les dernières notes retentissent, vous sentez ce vide en vous, preuve que le jeu a su vous immerger et vous faire oublier la virtualité de son monde.
*Peut être que Breath of the Wild aurait été un meilleur exemple, mais je ne l’ai malheureusement pas fait, donc je ne saurais pas vous en parler.
Un monde-musée
Pour pouvoir faire illusion et vous immerger, un jeu doit donc créer un lien avec vous. Cela passe d’abord à travers ses personnages et son monde. Comme le montrait Gone Home, l’histoire est menée par le personnage de Sam qui est rendu crédible et touchant grâce à ses notes que vous retrouvez un peu partout et qui font transparaitre sa personnalité. Son absence en devient inquiétante et ce qu’elle est devenue vous motive à continuer d’explorer la maison.
L’immersion se fait encore plus grande quand vous avez un impact concret, que ça soit sur le monde ou les personnages qui le peuplent. Voir le monde se transformer et vos relations virtuelles évoluer abolit une fois de plus les frontières entre le réel et l’illusion.
Sur ces deux points vient s’ajouter la liberté d’action, pas forcément indispensable à l’immersion, mais qui la renforce. Par là, vous y mettez du vôtre, vous vous impliquez et vous vous appropriez l’univers virtuel.
Avec Season, le problème est qu’il n’arrive pas à poser la base pour que vous y soyez immergé. Les personnages ne sont pas convaincants et par moment semblent factices par des tournures de phrases se voulant poétiques (mettre lien poésie et jeux vidéo), ce qui fait transparaitre un manque de personnalité. Ils sont là pour servir l’histoire et appuyer un propos, voire pour présenter leur monde et leur philosophie. Cela empêche la création d’une relation avec eux.
De plus, vous n’êtes que spectateur d’un monde sur lequel vous n’avez aucun impact. À aucun moment, vos actions ne viennent bouleverser l’état des choses ou modifier le peu de relations avec les personnages. Ce monde est comme un monde musée, figé dans le temps et vous le parcourez sans que rien ne change.
Sans avoir construit cette base, Season vous demande de par ses mécaniques à vous immerger, à vous intéresser librement à son univers et à en prélever des échantillons photographiques ou audio. La direction artistique est suffisamment maitrisée pour avoir encore envie de le faire, mais avec ce rappel constant que tout ceci n’existe pas et donc, que ce que vous faites est sans réel intérêt, soulignant, une fois de plus, son manque d’immersion.
Rendez-vous dans 10 ans
Season n’est pas mauvais en soi, mais il cristallise parfaitement ce problème d’immersion qui survient dans beaucoup de titres. C’est dommage, car l’immersion est primordiale pour vous convaincre que tout ceci n’est pas qu’une illusion fade et que vos actions ne sont pas dénuées de sens.
Pour qu’il y ait un véritable enjeu, il faut que vous pensiez l’espace d’un instant que Sam existe et qui lui est arrivé quelque chose de grave, que la cathédrale de Tristram accueille en son sein la porte des enfers et que les plaines d’Hyrule et ses habitants valent la peine d’être sauvés de Ganondorf. Il faut que vous pensiez que tout ceci est réel, ne fût-ce que pendant le temps que vous arpentez ces mondes.
C’est cette immersion qui vous connecte émotionnellement au jeu et par là vous donne le gout épique de votre quête, du poids à vos actions et la saveur à vos titres préférés. C’est grâce à ça que vous vous rappellerez dans 10/20/30 ans non pas d’avoir joué à Gone Home, Diablo ou Zelda, mais, la vague à l’âme et la nostalgie coulant sur vos joues, avoir connu Sam, découvert le village tragique de Tristram et délivré les terres d’Hyrule.
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