En haut d’un toit, un robot admire la nuit éternelle. Depuis les taudis de cette cité-puit, il observe les étoiles disposées de manière parfaitement circulaire, fixées artificiellement à une chape de béton. Il est pris d’un doute. L’extérieur n’est-il qu’un mythe auquel les extérioristes s’accrochent ? Au-dessus des néons et au-delà du dôme de ciment, le ciel bleu existe-t-il vraiment ?
People are strange
J’étais tombé au plus bas des égouts, là où aucune lumière ne parvient, si ce n’est celle bourdonnante des néons. En cherchant mon chemin pour retrouver mes compagnons, je m’étais enfoncé malgré moi dans ce dédale désertique de bâtiments abandonnés, tantôt fuyant des boules sur pattes aux dents acérées avides de ma chair, tantôt me faufilant de climatiseur en balcon jusqu’à arriver dans le taudis où j’errais à présent.
Il n’y avait pas âme qui vive ici, à moins que les robots en aient une. J’étais pour eux une anomalie. Ils ne me reconnaissaient pas comme un zurks – ces bêtes qui me poursuivaient pour gouter ma chaire, et ne connaissaient pas l’espèce chat. Peut-être étais-je pour eux un vestige d’une époque où les humains vivaient encore.
Dans ma fuite, j’avais rencontré un drone nommé B12 qui depuis m’aidait autant que je l’aidais. Ce petit drone savait non seulement ouvrir des accès autrement fermés, mais il me traduisait également tout ce que les robots pouvaient me raconter.
Grâce à lui, ma quête de retrouver mes compagnons restés à l’extérieur pris une nouvelle direction. À travers nos rencontres, je découvris les croyances de ces machines qui ressemblaient par beaucoup d’aspects à leur créateur humain. Pour la plupart, il n’y avait rien au-delà de cette cité-puit. Ce n’était qu’un mythe extravagant. Certains ne voulaient même pas en entendre parler.
Seul les extérioristes avaient foi dans un au-delà. Dans ces bas fonds, il n’en restait qu’un qui, j’allais bientôt l’apprendre, était rongé par le remords. C’est le garde qui me mit sur sa piste. Cet extérioriste s’appelait Momo et vivait tout en haut d’une tour d’où était accroché un énorme néon projetant une aura orangé.
Mais comment me faufiler jusque là ? Par réflexe, je parcourais les rues débordantes de détritus, caisses ou autres barils à la recherche d’un accès à l’immeuble où Momo résidait. Tout au plus, je sautais sur une poubelle ou un distributeur, mais mes yeux restaient rivés au ras du sol.
C’est comme ça que je découvris Morusque, l’apprenti guitariste qui attendait appuyé contre un volet métallique qu’on lui ramène des partitions pour élargir son répertoire. À chaque morceau que je lui procurai, je prenais le temps de l’écouter en ronronnant sur un des coussins placés à côté de lui ou de l’observer depuis un tabouret.
Plus tard, au détour d’une ruelle étroite, j’observais deux robots discuter. Un était assis sur un vieux canapé pendant que l’autre profitait de la chaleur d’un baril servant de réchaud de fortune. J’interrompis leur conversation en me frottant sur la jambe d’un des deux robots. L’écran qui lui servait de tête afficha alors un cœur, s’interrompant dans ce qu’il racontait.
Petit à petit, en levant mon regard des tags qui jonchaient les murs, j’appris à penser comme le chat que j’étais, escaladant de plus en plus haut pour atteindre les toits en tôle. Là, je perturbai deux robots qui se lançaient des pots de peinture, laissant alors en tomber un dans la rue en bas.
Puis, j’arrivais enfin à l’appartement de Momo.
J’entrai discrètement par la fenêtre ouverte pour rencontrer le robot qui allait faire avancer ma quête. Je le trouvai à s’énerver sur son téléviseur, tapant dessus par frustration pour essayer de récupérer un signal. Son chapeau de paille japonais et son kimono coloré tranchaient avec sa mine triste et désespérée. En parlant avec lui, j’appris que ses compagnons extérioristes – Clémentine, Doc et Zbalthazar – étaient tous partis et qu’il était à présent seul et sans nouvelles. Il était amer. Il me légua même son petit carnet d’extérioriste. Après la perte de ses compagnons, sa quête de voir la surface ne lui paraissait plus qu’une triste farce.
Le carnet de Momo était le premier d’une série de quatre : un pour chacun des membres du groupe. Il me fallait retrouver les trois autres. Avec un peu de chance, j’aurais une indication sur comment les amis de Momo avaient fait pour quitter le taudis.
La voie pour les retrouver m’était tout indiquée. Les extérioristes avaient ce symbole ressemblant à un smiley triste sur fond bleu. Je n’avais alors qu’à chercher dans leur appartement tagué des deux points et d’un demi-cercle dirigé vers le bas.
Retrouver les carnets fut simple. Il s’agissait de faire ce que j’aimais faire le plus : me faufiler partout, sauter de toit en toit et explorer les charmantes ruelles éclairées aux néons pour trouver un accès à ces appartements.
En trouvant le carnet de Clémentine, je compatissais un peu plus avec Momo. Elle avait compris, peut-être même avant lui, qu’il ne les suivrait pas elle, Doc et Zbalthazar dans leur quête d’extérieur. Elle reconnut l’hésitation et surtout la peur sur l’écran de Momo. Peur des zurks, du voyage, du changement ou de l’inconnu, ou peut-être de tout ça en même temps.
Je ramenai les carnets à Momo pour lui remonter le moral et il les feuilleta par politesse. Lors de la lecture du carnet de Zbalthazar, son écran afficha une excitation inattendue. Il venait d’y découvrir une note mentionnant la méthode pour réparer la radio. Il allait pouvoir enfin reprendre contact avec ses amis et peut-être, les rejoindre. Il fallait juste que quelqu’un aille fixer la radio rafistolée sur l’antenne qui se trouvait, évidemment, de l’autre côté d’un océan de zurks. Par ma petite taille et ma rapidité, ce quelqu’un ne pouvait être que moi. Par dépit et rempli d’angoisse, je me lançai dans ma course vers l’antenne.
En revenant de mon escapade, je découvris une note sur la télé de Momo. Il m’invita à le rejoindre au bar où il pouvait capter le signal.
Il m’y attendait impatient. Après un peu de recherche et transporté par l’excitation, il réussit à rentrer en contact avec son ami Zbalthazar. Après de brèves retrouvailles, il n’y eut que le temps pour Zbalthazar de fournir quelques indications sur la voie à suivre pour le rejoindre avant que la communication ne soit perdue. En quelques secondes, l’espoir de revoir ses compagnons renaissait en Momo et ses peurs s’effaçaient petit à petit.
Ma quête à moi progressait en même temps. Si ses amis avaient réussi à monter plus haut, j’avais mes chances de rejoindre les miens qui m’attendaient sûrement quelque part à la surface.
Surtout, j’étais heureux de voir que par mes petites actions, des robots se retrouvaient, sortaient de leur déprime ou surmontaient leur peur. En me connectant à eux, en rejoignant ma quête avec leurs désirs de liberté, on progressait ensemble dans la même direction. Ce fut le cas pour Momo, et ça serait le cas pour d’autres tout le long de mon aventure qui ne faisait que commencer dans cette cité-puits.
La vie de pacha
Stray est une aventure qui vous embarque dans son histoire en vous poussant à penser comme un chat et à vous faufiler un peu partout dans les ruelles délabrées et étroites d’une ville depuis trop longtemps confinée et où les choses ont légèrement dégénérées.
Construite par les Hommes pour se protéger d’un virus mortel, la ville est devenue leur propre tombe. Ils ont fini par totalement disparaitre, laissant derrière eux des robots aux comportements très humains et fascinés par leurs créateurs.
Les endroits visités sont magnifiques et imbibés d’une ambiance unique. Des scènes qui prennent souvent l’allure de véritables tableaux cyberpunk. Il y a un style et une atmosphère qui opèrent directement et qui donnent envie d’explorer chaque recoin de ce joyeux foutoir fait de tout et de rien, de petites bricoles ou d’ordures recyclées, le tout éclairé à la lueur des néons.
Mais Stray est surtout une histoire très humaine. Tous les robots que vous croiserez auront leur propre caractère, leur propre authenticité transparaissant à travers leur style vestimentaire et, généralement, à travers quelques lignes de dialogue ; des humanoïdes qui répondent à vos demandes d’affection – lorsque vous vous frottez à leur jambe ou que vous vous couchez sur eux pour une petite sieste. Le jeu est parcouru de ces moments de tendresses gratuites.
Ces robots aussi complexes que leur créateur humain, certains dépressifs, d’autres rêveurs ou philosophes, chacun à la manière d’une intelligence artificielle qui voit le monde à travers son programme, mais qui par moment le questionne et le remet en doute. Avec évidemment les parallèles à faire par rapport à nous autres, humains.
Sans parler de votre quête d’extérieur qui rejoindra celle d’autres personnages qui, dès lors, vous aideront autant que vous les aiderez. Votre petite taille a ses limites, mais surtout ses avantages et vous permet de faire ce que ces bipèdes mécaniques ne sont pas capables de faire. Des complémentarités salvatrices qui renforcent ce sentiment de connexion avec les personnages et finissent par les humaniser.
À travers eux, vous découvrez également l’histoire de cette cité-puits qui se présente par petits bouts et se dévoile à travers les dialogues, via les graffitis ou par les souvenirs que se remémore le drone qui vous sert de compagnon. Un compagnon nommé B12 qui va se souvenir petit à petit de sa vie, de la chute du monde des Hommes et in fine redécouvrir sa propre nature. Ces révélations posent souvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, mais, du coup, laissent votre imagination prendre le relais.
Le point fort de Stray reste donc son univers, ainsi que ses personnages et les connexions qu’on établit avec. Pour le reste, se prendre pour un chat et explorer aussi bien les rues que les toits de cette cité-puits est très agréable. Il faut un peu d’adaptation pour penser à la verticale, mais le pli se prend très vite et la progression devient alors fluide et bien rythmée. Bref, sans être révolutionnaire, Stray est un jeu à faire que vous soyez amoureux des félins, de belles ambiances cyberpunk ou si vous cherchez des petits moments de tendresse gratuite comme seuls les chats savent le procurer.