Pour beaucoup, Myst a été une porte d’entrée vers le jeux-vidéo. Il représente l’essence de ce à quoi peut mener le média à travers un univers riche à explorer. C’est personnellement à travers ce prisme de l’exploration que j’aime voir le jeux-vidéo et Myst en a été le déclencheur, provoquant une soif de m’aventurer dans encore plus de contrées virtuelles. Mais au-delà de son esthétisme envoutant, il a su éveiller mon âme d’enfant et modifier ma vision du monde en apportant un peu de sa magie dans ma réalité.
Une Plongée dans un rêve
Myst est avec sa suite Riven un des jeux, si ce n’est le jeu de mon enfance. La petite mélodie de la présentation du logo de Cyan m’a directement envouté. Comme à travers une longue vue, un petit village est survolé jusqu’à montrer le pic d’une montagne. Le tout devient plus abstrait et fait place au logo. Ensuite plane une musique annonçant les intrigues à venir et le mystère qui colle à la peau de cet univers. Le livre de Myst atterrit devant moi et, sans que je le sache, scelle mon destin. Sur la première page se présente une petite fenêtre à travers laquelle une île apparait dans un épais brouillard. J’effleure le papier de ma main et ce monde fantastique m’absorbe.
Cette île dégage une aura unique. À côté des quais sur lesquels je suis apparu, seul le mat d’un bateau immergé dépasse de l’eau. Sur la bute en face, ce sont deux énormes rouages accompagnés d’une mélodie métallique semblant venir de sous la terre. Plus loin, il y a une tour surmontée d’une horloge inaccessible pour le moment, un chalet avec une chaudière, une fusée verrouillée, un planétarium ou encore une bibliothèque.
L’horizon est masqué et la grisaille plombe l’atmosphère des lieux. Il règne ici une ambiance d’après déluge. Ce bout de terre a été habité, mais quelques indices me font penser que ses occupants ont déserté. Heureusement, le clapotis des vagues, le souffle du vent et le chant des oiseaux adoucissent l’ambiance.
Ces éléments disparates et la brume omniprésente donnent à l’île un aspect surréaliste. J’ai l’impression d’évoluer dans le rêve d’un enfant surdoué. Sur Myst, beaucoup de choses sont cachées par des mécanismes faits de rouages ou dissimulées sous des passages secrets. Il faut suivre les faisceaux d’indices, les relier à tel ou tel mécanisme et expérimenter pour comprendre comment tout s’imbrique ensemble pour faire fonctionner une machine qui nous donne accès à un nouvel Age.
Ces Ages sont ces mondes contenus dans des livres, à l’image de Myst. Chacun a ses propres particularités, sa propre histoire. Ils revêtent tous une aura fantastique, tantôt merveilleux, tantôt hostile, mais toujours intriguant et remplis de détails. Chaque Age est une invitation à l’exploration s’appuyant sur les fantasmes qu’on peut avoir quand on est gamin.
Il y a le monde sélénétic et son environnement inhabitable. Les quelques bâtiments qui s’y trouvent ressemblent à des anomalies dans ce paysage lunaire. Channelwood est plus accueillant. Les cabanes perchées témoignent d’une vie humanoïde aujourd’hui disparue. L’Age mécanique est une énorme forteresse rotative isolée sur l’eau. Le monde du bateau avec son ciel gris est déprimant, mais ce navire venu se planter contre les rochers intrigue le voyageur qui y met les pieds.
Dans la plupart de ces Ages se trouvent les chambres de Sirius et Achenar, les deux protagonistes principaux de l’histoire. Ces deux frères sont chacun retenus enfermés dans un livre-prison et supplient que je les délivre en leur ramenant des pages disséminées dans les différents Ages. Je ne peux en libérer qu’un, mais comment savoir à qui faire confiance?
Mes seules interactions avec eux ne me permettent pas de me décider. Heureusement, leur caractère s’affirme à travers les différentes chambres qu’ils ont habitées dans les Ages. Celles de Sirius témoignent toutes d’un luxe et d’un gout pour le raffinement. Dans l’Age mécanique, sa chambre forte renferme son avarice symbolisée par des coffres remplis d’or.
Achenar est à l’opposé, plus animal, voire bestial. Je découvre dans Channelwood une paillasse imbibée de sueurs et un désordre permanent. Dans sa cabine dans Stoneship Age, un lustre est fait à partir d’une cage thoracique et ce qu’il dissimule dans l’Age mécanique est très perturbant. J’y ai trouvé une cage électrique servant d’outil de torture, tandis que ce qu’il se cachait dans un de ses coffres…
Les sens se réveillent
Partout dans Myst, j’observe ce sens du détail. Tout est raccord, que ça soit au niveau de l’esthétisme (les chambres des deux frères comme on vient de voir) ou de la cohérence des énigmes (pour la plupart) en phase avec leur monde. Il n’est pas question d’avoir un puzzle posé artificiellement parce que les créateurs ont décidé que je n’irais pas plus loin sans l’avoir résolu. Non, ces puzzles s’imbriquent dans l’environnement et me demandent d’observer et de comprendre le monde qui m’entoure.
À mon arrivée dans Channelwood, je me suis retrouvé bloqué sur des passerelles en bois me maintenant au sec du marécage présent sous mes pieds. Dessus, j’observais des pipelines reliés à des générateurs dont chacun était posé à côté de différents ascenseurs pour le moment hors d’usage. En suivant les tuyaux, je remontais à la source. Tous partaient d’une cabane isolée sur un rocher. En ouvrant la vanne de l’arrivée principale présente dans cette cabine, l’eau a commencé à couler dans la tuyauterie alimentant par énergie hydraulique certains générateurs.
Du moins, c’est ce que je croyais. En arrivant près d’un ascenseur, pas un bruit. Le générateur était éteint. Je remontais le pipeline silencieux jusqu’à entendre à nouveau le bruit de l’eau qui le parcourait. Sur un embranchement, un mécanisme permettait d’aiguiller le courant vers l’un ou l’autre ascenseur. Je testais mon hypothèse en bougeant la manivelle. Cette fois-ci, le générateur ronronnait bien et je pus accéder à une partie des cabanes suspendues.
Du rêve à la réalité
L’énigme présentée est un peu plus complexe évidemment, mais à travers cet exemple, c’est le fonctionnement de Myst qui se définit. En faisant attention à ce qui était sous mes yeux et ce que j’entendais et en explorant en peu le marécage qui m’entourait, j’ai pu déduire le fonctionnement du système hydraulique de Channelwood pour accéder à ma guise à ses différentes parties.
Pour arriver au bout de l’aventure, il a fallu que je réapprenne à observer, écouter, expérimenter et échouer. Bien souvent, j’ai été perdu, ne sachant pas quoi faire et par où commencer dans ce monde étrange. Je ne comprenais pas le sens de ce qui m’entourait et à quoi pouvaient bien servir ces machines.
En oubliant mes appréhensions et en commençant à explorer et à observer ce qu’il se passait lorsque je touchais à tout, j’ai su deviner comment les choses fonctionnaient et interagissaient entre elles. J’ai testé mes hypothèses et observé le résultat, ma logique se heurtant à la réalité et s’ajustant petit à petit. J’ai appris à apprendre par moi-même et à comprendre le monde qui m’entoure sans me reposer sur des aprioris extérieurs. C’est là toute la force de l’aventure de Myst…
… Et c’est ici qu’on touche à ce qu’il y a de plus intéressant dans le jeux-vidéo. Les qualités et compétences développées à travers Myst se sont intégrées à moi. Ce sens de l’observation, cette curiosité et cette soif de comprendre les choses ont dépassé le cadre de l’aventure virtuelle pour se greffer à ma personnalité. Petit à petit, Myst a déformé ma vision du monde réel et m’a appris à l’observer attentivement et à en être curieux. À travers ce regard d’enfant, prêt à s’émerveiller à tout moment, c’est toute la réalité qui se transforme et se fantasme, arborant une dimension magique.
Il n’y a certes pas de livres-relais dans la réalité et il n’y a pas d’Ages fantastiques à porter de doigt, mais il y a des portes menant à d’autres mondes qui se présentent à qui sait regarder. Les détails dissimulés ici et là, les traces d’usures ou la façon d’être construit révèlent toute une histoire à ce que vous regardez, que ça soit devant une peinture et toute la symbolique qu’elle comprend ou devant un bâtiment de votre ville chargé d’un passé méconnu. En vous attardant un peu plus sur les choses qui vous entourent, vous entrez dans une autre dimension où la magie opère et vous fait voyager.
De la même manière, si un jour, alors que vous flânez sur les pages d’un site internet, vous découvrez un livre à la couverture abimée et au dos craquelé, prenez le temps de l’ouvrir et d’en parcourir les premières pages. Si une petite fenêtre vous montre une île étrange, mettez de côté vos peurs et plongez-y. Ce voyage vous transformera.