Avec Half-Life, je déterre avec vous un monument du jeux-vidéo qui a laissé une énorme empreinte sur ce média. Pourtant, à l’époque, le jeu ne m’avait pas marqué, du moins pas comme semble l’avoir vécu la plupart des joueurs. J’avais huit ans au moment de sa sortie et ce n’est que quelques années plus tard avec tout ce qu’il a semé sur son passage que le jeu a enterré, malgré lui, ma vie sociale.
Sweet 90’s
1998, l’année de tous les classiques dans le jeux-vidéo. Cette fin de millénaire a été fantastique à plus d’un titre. Déjà pour la révolution 3D qui commençait à être maitrisée, mais aussi pour internet qui pointait le bout de son nez en déboulant comme un déménageur portugais (sans offense). Ceux qui ont eu la « chance » de connaitre les modems 56k ont encore dans les oreilles le bruit déchirant de démarrage. Sans compter qu’ils occupaient la ligne téléphonique pendant leur utilisation. Il n’y avait pas de forfait illimité ou de connexion 24/24h. Pour aller sur internet, il fallait systématiquement allumer le modem, mettre des boule quies et attendre une à deux minutes grinçantes. Vous aviez enfin accès à un monde de sites amateurs sur vos passions en payant comme pour le téléphone, à la minute. Autrement dit, l’accès à ces tunnels de l’information (comme aimait à l’appeler Bill Gates) était fortement réglementé et budgétisé par vos parents. Dans ces conditions, se connecter sans perturber la sieste de votre père était mission impossible.
Si l’internet balbutiant des débuts contribue à forger l’identité de la fin des années 90/début des années 2000, il ne faut pas oublier l’énorme impact du piratage. Ce fut une aubaine pour les apprentis trafiqueurs de cours de récré, mais une calamité pour tout un marché. Celui du jeu PC le prendra de plein fouet lors de la première décennie du nouveau millénaire, ce qui poussa les éditeurs à migrer vers les consoles. Dès la fin des années 90, chaque PC était équipé d’un graveur et les Cds vierges se vendaient par lot de 50 pour 3 fois rien. Un investissement rapidement amorti. Il suffisait alors d’aller louer musique ou jeux à la médiathèque pour s’en faire une copie et ainsi avoir accès à un catalogue immense de divertissement pour pas grand-chose. La faible tentative de protection des éditeurs fut d’obliger les joueurs à entrer une clé-cd lors de l’installation. (Une protection peu efficace qui a sa petite importance dans cette histoire comme vous allez le voir bientôt.) Cette époque verra le jeu PC traverser un désert vidéoludique, toutes les attentions étant portées sur le monde des consoles bien plus sécurisé et de plus en plus prospère et de plus en plus adulte.
En attendant, en 1998, le climat est encore à l’euphorie. Tout va pour le mieux dans le monde du PC, y compris pour le FPS qui a vu ses évolutions se succéder en passant de jeux comme Wolfenstein 3D ou Doom à de la vraie 3D texturée avec Quake. Des défouloirs coupés en galeries de monstres à dézinguer et qui ont su faire des émules plus ou moins réussis en s’appuyant sur cette recette.
Half-Life débarque comme un pavé dans la marre, défonçant toute une génération de shooters sur son passage. Les critiques, comme les joueurs sont sous le charme de cette aventure se tenant d’une traite, comme une énorme fuite en avant où l’environnement raconte un scénario sans jamais laisser de temps mort. Vous êtes dans Black Mesa à chaque instant, interagissant avec les scientifiques pour avoir des informations sur ce qu’il se passe et apprenant à maitriser l’arsenal mis à votre disposition pour faire face à des ennemis intelligents cherchant à vous déloger. (Pour une analyse approfondie de la licence, n’hésitez pas à vous lire le livre de Yann François, une petite mine d’or pour comprendre la licence et son impacte sur le monde du jeux-vidéo (et il n’est pas petit du tout, on en retrouve des traces jusque dans The Last of Us tellement les codes utilisés ont été novateurs pour le jeux-vidéo)). Ces qualités donnent au titre le rôle de précurseur, cassant net avec le passé et déroulant un flot d’ambition narrative et affichant une volonté de faire évoluer le média. De quoi mettre tout le monde d’accord…
… À une exception près
J’avais 8 ans quand le jeu est sorti. Ce fût mon premier FPS, alors autant dire que l’aspect révolutionnaire du titre, j’étais passé complètement à côté. Pour moi, c’était la norme étant donné que je n’avais connu que ça comme FPS et qu’après ça, tout le monde a été pioché dans ce vivier de bonnes idées pour les adapter à sa sauce. Ca ne m’a pas empêché d’apprécier le titre ni de vouer un culte au genre, loin de là, mais même à l’époque de sa sortie, Half-Life était moche. Il s’appuyait sur le moteur de Quake modifié pour les besoins du jeu. Un moteur bricolé et vieillissant qui donnait au jeu un aspect un peu repoussant pour un gamin vite impressionné par tout ce qui avait l’air neuf et chatoyant.
J’aimais y jouer, ce n’est pas ça. Mais l’ambiance du complexe de Black Mesa m’a longtemps rendu mélancolique, voire me déprimait. Le jeu vous cloitre sous terre, dans des environnements faits de bétons armés et d’aciers rouillés. Vos pas résonnent dans les couloirs froids. Vous êtes constamment mis sous pression et terriblement seul dans cette aventure. Des éléments qui me renvoyaient à ma propre introversion et qui développaient un certain malaise en moi.
Hammer Time
Pourtant, le jeu a été une boite de pandore d’où se sont échappées de nombreuses choses. En explorant le CD, au fond d’un dossier, se cachait le Valve Hammer Editor : ni plus ni moins que les outils ayant servi à créer le mythe Half-Life. Tout ça à disponibilité de chaque joueur. Avec ces outils, tout le monde pouvait contribuer à leur univers chéri. Les mods n’étaient certes pas nouveaux. Les bidouilleurs n’ont pas attendu le jeu de Valve pour transformer leurs jeux favoris (une scène qui existait déjà du temps de papa Doom). La particularité ici fut le timing parfait avec l’émergence d’internet, ce qui facilita l’apprentissage du logiciel et le partage des créations. Une large communauté se créa autour du jeu et de l’éditeur. Des sites spécialisés techniques comme mapping-area.com virent le jour, d’autres centrés sur l’univers du jeu comme Vossey.com avaient leur partie « création » sur leur forum et même lesiteduzero.com (aujourd’hui openclassroom.com) proposait des cours sur l’éditeur de niveau.
Cette masse de connaissance et ces lieux virtuels de partage ont largement facilité la distribution des créations (petites ou grandes) de chaque fan et solidifié une communauté faisant vivre la licence des années après sa sortie. On y trouve tout et n’importe quoi, du scénario débile ou remake de film d’actions en passant par des fans fictions. Mais surtout, et toujours dans cette synchronisation parfaite avec un internet suffisamment rapide et répandu pour le permettre, des mods multis comme Day of Defeat, Team Fortress ou encore Counter-Strike.
Jungle virtuelle
Je reviens juste deux secondes sur l’internet de ces temps anciens. Ceux n’ayant pas connu les débuts du www ont peut-être du mal à se l’imaginer, mais explorer le web de la fin des années 90, c’était s’aventurer dans des torrents inexplorés. Ce fût un temps où la plupart des gens utilisaient encore Internet Explorer, rendez vous compte!!! Aller au-delà de la première page de Google (quand ce n’était pas Lycos ou Yahoo) était fréquent et le savoir était éclaté aux quatre coins du web sur des pages moches faites par des amateurs. Il n’y avait pas une telle centralisation de savoir comme on peut avoir maintenant avec de gros sites comme Wikipedia ou, plus spécialisé, Gamekult.com.
Dans cette jungle, trouver un mods, c’était risquer de se chopper un joli virus et on n’était jamais trop sûre de ce qu’on allait installer. On cliquait sur les premiers liens sortit des résultats et on naviguait, de page en page, revenant en arrière quand on tombait sur un lien mort (chose courante) et finalement, après plusieurs virus chopés et une réinstalle du système plus tard (bon, là j’exagère, mais vous avez l’idée), on pouvait enfin jouer au mod qu’on avait tant convoité.
Vous imaginez bien que pour moi, à ce moment-là, du haut de ma dizaine d’année, c’était impossible de pouvoir effectuer tout ça. Pourtant, après avoir vu Counter-Strike dans un reportage télé sur les lans, je n’avais qu’une obsession : y jouer. Les quelques images du jeu montrées pendant l’émission me donnaient l’impression d’un fps nerveux et intense. Je n’avais aucune idée de ce qu’était un mod, je ne savais pas grand-chose du jeu, ni même qu’il était uniquement multijoueur, mais il me le fallait absolument. J’en avais parlé à mon père, mon fournisseur officiel de jeux-vidéo et lui-même à fond dedans à cette époque, mais impossible de pouvoir mettre la main dessus.
Le destin fait bien les choses, et je pense que quand vous voulez ardemment quelque chose, elle finit par se concrétiser dans votre vie. Ce fut le cas pour Counter-Strike et mon désir intense et inexplicable de pouvoir le tester. Un jour, au détour d’une étagère de la médiathèque de Liège, un gros boitier bleu capta mon attention. Dessus, le logo était reconnaissable entre mille. On est au tout début des années 2000 (2001, peut être 2002) et Half-Life fait déjà partie du passé dans ma jeune tête. Je m’étonne de voir le jeu ressortir sous une nouvelle édition et je prends la boite pour revoir quelques images, par pure curiosité. Cette compilation appelée Half-Life Génération regroupe donc le jeu original (normal), les extensions Opposing Force et Blue Shift (pur produit pour capitaliser sur le jeu, pensais-je cyniquement) et (comme vous vous en doutez, sinon cette histoire n’aurait pas de chute) le précieux Counter-Strike.
Vous imaginez bien, sans y croire que j’avais enfin mis la main dessus, je me suis dépêché de louer ce boitier (et par louer, ceux qui ont suivis savent quelles étaient mes réelles intentions…). Cette petite action a mené à près de vingt ans de jeu. À l’heure d’écrire ces lignes, je viens encore de me faire un petit deathmatch, toujours avec la clé-cd du boitier loué à la médiathèque et rapidement lié à mon compte Steam quand la plateforme est sortie. 20 ans à jouer à un titre honteusement malhonnêtement acquis* (j’étais petit et pauvre, ne jugez pas!) et dont je me prépare à vous en raconter les souvenirs et évolutions dans un prochain article…
Stay Tuned!
* Alors, oui, à l’époque, c’était un mod gratuit, mais il a vite été vendu en standalone et coûte actuellement quelque chose comme 9€ sur Steam.
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