Les cahiers du game designer vous plongent dans ce qui fait une oeuvre vidéoludique. À travers l’observation et l’analyse, j’explore avec vous ce qui fonctionne ou pas dans le jeu vidéo pour mieux appréhender la magie qui se cache à l’intérieur de ces créations.
Dans ce premier article, nous plongerons dans ce que le jeu vidéo peut proposer de plus intime comme expérience et ensemble, nous verrons comment certains titres arrivent à nous impliquer et nous faire éprouver des sentiments à travers leurs amas de pixels, là ou d’autres échouent lamentablement à nous faire ressentir autre chose qu’un ennuie profond. Bref, qu’est-ce qui fait l’âme d’un jeu vidéo?
« A part of me, is inside of you. Do you feel me? » Megan Griffin
Vous vous êtes déjà demandé d’où venait ce vent de nostalgie qui vous fait tressaillir quand vous entendez des mots comme Dark Souls, Final Fantasy VII, Shenmue, Diablo, ou encore Oddworld? Pourquoi ces jeux vous ont-ils si fortement marqués, là ou d’autres sont rentrés, puis directement sortis de votre mémoire sans avoir pris la peine de laisser de traces? Qu’est ce que ces titres ont de si spéciaux pour, encore aujourd’hui, vous faire couler une larme de nostalgie? Vous avez été touché d’une manière particulière et vous savez qu’on ne parle plus seulement de softwares installés sur votre machine, mais d’une partie de vous-même.
« Icons demand our participation to make them work » Scott McCloud
Quelque part, c’est vraiment le cas. Ces oeuvres vous ont littéralement permis de projeter une partie de vous même en elles. Pour comprendre ce fait, il faut plonger dans le livre de Scott McCloud : « Faire de la bande dessinée ». Le postulat de départ est simple: plus un visage sera abstrait, plus il sera facile pour le lecteur de s’y identifier. À l’inverse, un visage hyper détaillé sera apparenté à « l’autre », à ce qui est extérieur à nous. La raison est simple : tout le monde ne voit que très rarement son propre visage ou son propre corps, ce qui fait qu’on a une idée très basique et simplifiée de ce que nous sommes. C’est ce qui explique pourquoi on se reconnait plus facilement à travers Son Goku que dans un méchant de City Hunter.
Là où ça devient intéressant, ce sont lors des différentes utilisations de cette règle. Comme je l’ai mentionné, si dans certains mangas les méchants sont plus détaillés, comme dans City Hunter, c’est pour créer une distance avec le lecteur. Tout comme la complexité des paysages de Tintin est en contraste avec la simplicité du héros pour vous faire ressentir un monde vivant et inconnu, là où le héros est finalement très simple et vous sert d’avatar.
Dans le même ordre d’idée, on remarque que le degré d’abstraction d’un objet permet d’y projeter votre imagination plus ou moins facilement. Pensez aux objets qui s’animent dans un dessin animé et vous remarquerez qu’ils sont composés que de quelques traits. Par contre, pour marquer la réalité d’une épée, un zoom dessus montrera la richesse des ornements. Son poids et son authenticité seront plus « palpables » de cette façon. Bref, encore une fois, le réalisme rend les choses plus froides et distantes de la personne qui observe, alors que l’abstrait donne plus de vie et rapproche l’observateur et l’objet. Globalement, plus le degré d’abstraction sera élevé, plus une chose vous semblera proche et pourra servir d’avatar pour vous y projeter. Au contraire, l’accumulation de détails créera un écart entre cette chose et vous-même.
Les cas d’utilisation dans la BD sont vastes, mais ce qui est intéressant ici, c’est l’application dans le jeu vidéo. Un jeu qui joue avec cette « règle de l’abstraction » crée des éléments qui serviront de toile de fond pour que vous puissiez y projeter votre identité et votre imaginaire. Autrement dit, plus le jeu s’acharne à offrir détails et explications à tout ce que vous y voyez, plus il y a une distance qui se créée entre vous et le jeu. À l’inverse, si le jeu vous laisse de la place, une connexion beaucoup plus forte va se nouer, car vous y avez mis du vôtre dans cette oeuvre en vous y projetant, et en y projetant votre imagination. Vous vous appropriez le jeu, lui donnez une âme et le rendez unique et personnel.
De Silent Hill à Myst
Le cas le plus intéressant pour illustrer ces faits, c’est encore Silent Hill. Tout au long de l’aventure, le jeu arrive à s’insérer dans votre tête pour y créer l’horreur. Ce qui fait peur dans cet univers (et comme dans beaucoup de Survival-Horror) est en vous et non pas sur l’écran. Le jeu montre beaucoup de sang témoignant de scène de violence, mais plus rarement la violence elle-même. Il va jusqu’à jouer avec le son en vous faisant entendre une roue qui grince par exemple, avant de vous la montrer. Vous avez alors le temps d’appréhender ce qui se trouve au bout du chemin. Autrement dit, avant de savoir que ce n’était qu’un fauteuil roulant abandonné, votre esprit a largement eu le temps de s’imaginer le pire en se basant sur ce son et ce sur quoi il est ancré en vous, tout en s’appuyant sur le contexte et l’atmosphère lourde des lieux.
Dans un aspect plus joyeux, Riven arrive à travers son level design à suggérer un lieu en en montrant que l’aspect extérieur magnifique ou imposant, tout en empêchant le joueur d’y accéder immédiatement. Si vous avez arpenté ses lieux, vous penserez certainement à ce gigantesque dôme d’or vu dès le début du jeu et dont une simple grille vous empêche d’avancer directement vers lui. Il faudra un moment pour que vous puissiez y avoir accès. Cet effet est très bien exploité dans toute la série et permet de créer une motivation très forte, car nourri par vos fantasmes personnels. Le jeu ne promet rien et ne dévoile rien et vous laisse le temps d’imaginer ce qu’il se trouve de l’autre côté une fois la ou les énigmes résolues. Un fantasme qui nait rien qu’en regardant la boite de jeu dans le rayon du magasin.
Ce dosage entre ce qui est montré et ce qui ne l’est pas, on le retrouve également dans des titres plus actuels, emprunt d’une aura qui déjà a su marquer les esprits. La série des Dark Souls est un très bon exemple, notamment au niveau du scénario. Tout le lore de ce monde n’est pas clairement raconté tel quel dans le jeu. Hormis la base divulguée lors de la cinématique d’intro, l’histoire du monde de Dark Souls est disséminée plus sous forme d’indices que seuls les joueurs les plus attentifs recueilleront et recouperont. Cette façon de raconter une histoire et de disséminer des indices sur le passé des lieux permet à chacun de s’impliquer et d’aller de lui-même vers les conclusions qui s’imposent, tout en créant une mythologie forte et une vie propre au jeu, et en permettant aux joueurs de discuter ensemble de leur théorie et de leurs découvertes.
La pièce centrale
Les jeux cités ci-dessus ne sont que quelques exemples de l’ensemble de ce que le média permet d’offrir et chacun devrait avoir droit à une analyse plus poussée. D’ailleurs, vous connaissez certainement un tas d’autres jeux que je vous invite à les citer et les partager en commentaire. Ils permettent néanmoins de constater que les jeux ayant laissé un souvenir impérissable ont tous su s’effacer d’une manière ou d’une autre pour vous laisser vous y immerger. Ces univers paraissent vivants et magiques, là où d’autres s’essoufflent à vous prendre constamment par la main pour tout vous faire voir et tout vous expliquer. Le problème est qu’à vouloir tout expliquer et tout montrer d’un jeu, il s’appauvrit, alors que les questions restées en suspens vous permettent d’avoir votre propre interprétation et d’y projeter votre imagination. Une oeuvre n’appartient pas qu’à son créateur, mais à chaque personne y contribuant. C’est sur cet aspect que les plus grandes oeuvres jouent afin de vous laisser une part de création et de vous sentir investit dans l’univers proposé. Le jeu devient un support à votre imaginaire et à l’expression de vous-même par des trous scénaristiques, des paysages difficilement accessibles et mystérieux, des non-dits, etc. , tandis que vous restez l’élément central autour duquel le reste de ce petit monde virtuel tourne.
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